Encyclopédie Polaire

LES CÉTACÉS : DE PARFAITS MAMMIFÈRES DÉGUISÉS EN POISSON

Les Cétacés sont si bien adaptés à la vie marine que, jusqu’en 1753, on les classait parmi les Poissons ! Pourtant, ce sont bien des Mammifères : ils ont le sang chaud, respirent à l’air libre et surtout allaitent leurs petits. Au fil de l’évolution, ils sont devenus parfaitement hydrodynamiques, mais leur queue est horizontale et non verticale, comme celle des Poissons.

DENTS POUR DÉVORER, FANONS POUR FILTRER

L’ordre des Cétacés comprend deux sous-ordres : les espèces à dents (Odontocètes) et un seul évent et celles à fanons (Mysticètes) ou baleines vraies, à deux évents. Les Odontocètes (cachalot, etc.) mangent calmars et poissons. Les Mysticètes, (baleine franche, etc.) filtrent d’énormes volumes d’eau à travers leurs fanons, retenant les milliards d’organismes planctoniques qui s’y trouvent.

GROGNEMENTS, RONFLEMENTS, GAZOUILLIS : TEL EST LE CHANT DES BALEINES

Ruts, jeux, combats ou fuite, les baleines communiquent par leurs ” chants “. Sans cordes vocales, elles émettent des sons par leur larynx et leurs évents. Ces messages peuvent, pour les grandes espèces, être perçus à 900 km (Paris–Nice !). Même s’il varie selon les individus et les saisons, le chant reste compréhensible pour tous les membres d’une même espèce.

LES CÉTACÉS DU GRAND NORD

Plusieurs espèces de Cétacés fréquentent les eaux arctiques : la baleine franche, la baleine du Groenland, la baleine de Minke. Mais les plus étranges sont sans nul doute le béluga blanc et le narval, avec sa longue dent torsadée. La chasse à la baleine fait partie de la culture de plusieurs peuples du Grand Nord, en particulier des Inuits.

IL Y A 50 MILLIONS D’ANNÉES : LES PREMIERS CÉTACÉS

L’ancêtre lointain des Cétacés, un petit mammifère carnassier terrestre à quatre pattes (un mésonychidé) vivait sur les rivages, il y a 50 millions d’années. 10 millions d’années plus tard, de grandes baleines à dents atteignaient 20 mètres de long, comme Basilosaurus – le “ lézard-roi ”, bien que ce soit un mammifère ! Les baleines à fanons seraient apparues un peu plus tard ; il y a moins de 30 millions d’années.
Après plus de 40 millions d’années de vie aquatique, les cétacés actuels sont parfaitement adaptés à ce milieu. Les narines sont devenues les évents qui se situent maintenant sur le dessus de la tête ; les pattes arrière ont disparu et les membres antérieurs sont transformés en nageoires ; la peau a perdu presque tous ses poils ; le corps est souple et fuselé comme celui des poissons.
Aujourd’hui, grâce à la biologie moléculaire, les chercheurs pensent que les plus proches parents des baleines sont les hippopotames, dont les ancêtres seraient également de la famille du Mésonyx.

UNE VIE ENTRE DEUX MONDES : RESPIRER ET PLONGER

Comme tous les mammifères, Les baleines doivent revenir à la surface pour respirer. Leur quotidien est rythmé par cette nécessité. En fait, elles passent environ un quart de leur vie à la surface. Si, en moyenne, l’homme peut retenir son souffle pendant 1 à 2 minutes (record : plus de 7 minutes), les baleines, elles, restent sous l’eau d’une quinzaine de minutes à plus d’une heure et demie selon les espèces !
Pour y parvenir, leur physiologie s’est adaptée. Elle leur permet de stocker de grandes quantités d’oxygène, mais aussi de l’économiser pendant la plongée :

> Leurs poumons sont proportionnellement plutôt plus petits que ceux d’un homme, mais leur respiration est plus efficace. À chaque respiration, elles échangent 85 à 90 % du volume d’air contenu dans leurs poumons, alors que nous n’en échangeons qu’environ 15 %.

> Leur sang, très riche en globules rouges – cellules qui transportent l’oxygène – s’oxygène donc très efficacement.

> Leurs muscles contiennent en grande quantité une molécule particulière, qui, elle aussi, fixe l’oxygène.

> En plongée, elles ralentissent leur rythme cardiaque ; seuls les centres vitaux sont oxygénés et elles peuvent abaisser leur température pour économiser encore de l’énergie.

L’ÉCHOLOCATION : UN SONAR BIOLOGIQUE

Les Cétacés émettent toute une gamme de sons, dont la majeure partie est inaudible pour l’homme. Ces émissions leur permettent d’avoir une “image sonore” de leur environnement, c’est écholocation (sonar biologique).
Les sons émis se propagent puis rebondissent sur les reliefs (bateau, animal, fond, falaise, banquise…). Ils sont alors modifiés et donnent un écho que l’animal capte, analyse puis intègre comme une image. Il possède ainsi à chaque instant un repérage parfait du paysage dans lequel il évolue.
Ce “ 6ème sens ” des cétacés se caractérise par des adaptations morphologiques très pointues. Les sons sont émis dans une seule direction grâce à la forme du crâne. Chez les Odontocètes, comme le béluga, le système se perfectionne encore, avec une bosse de graisse appelée “melon” située sur le front et agissant comme une “lentille acoustique”, qui focalise les sons émis.
Le système de réception est également très performant : outre le conduit auditif, comme chez les Mammifères terrestres, les cétacés utilisent également un cordon graisseux situé dans leur mâchoire inférieure, directement relié à leur oreille et capable de transmettre les sons.

MIGRATIONS ET RYTHMES SAISONNIERS

Les cétacés migrent à la recherche de leur nourriture et de meilleures conditions de reproduction. En général les grandes baleines s’alimentent dans les eaux riches des hautes latitudes pendant l’été, et retournent en zone tempérée, voire tropicale, en l’hiver. Mais d’autres espèces parcourent de longues distances et restent largement dispersées tout autour du globe sans que l’on ait encore compris leur mode de vie…

LA CHASSE TRADITIONNELLE ET LA DISPARITION DES ESPÈCES

Dès la fin du premier millénaire, les baleines étaient chassées au large de la Norvège.
La baleine a été longtemps considérée comme une source de matières premières et de nourriture importante : huile (éclairage, chauffage…), organes et substances naturelles (pharmacie, produits de beauté), fanons… Un animal de 20 mètres fournit 8 tonnes de lard et 24 tonnes de viande !
Au XIXe siècle, avec l’invention du canon lance harpon, la chasse devient extrêmement meurtrière.
Les débuts de l’exploitation industrielle du pétrole a rendu cette chasse moins nécessaire, à une époque où les troupeaux avaient été quasiment exterminés. Aujourd’hui, à de rares dérogations près, la chasse est interdite (Commission Baleinière Internationale : IWC). Et ceci ne va pas sans poser des problèmes aux peuples qui vivent de cette ressource.
Des ” sanctuaires ” de protection ont été également créés.

JEAN-LOUIS ETIENNE ET LES BALEINES

Jean-Louis Etienne a plusieurs fois rencontré des baleines au cours de ses expéditions.
Au cours de lamission EREBUS, en Antarctique, il écrit : “ Un petit rorqual de Minke, la baleine au museau pointu, émerge pour souffler dans la mare formée par le bateau (…). La baleine replonge et danse autour de l’Antarctica, puis elle monte appuyer son museau sur le Zodiac d’Éric, en toute confiance. Elle se laisse caresser (…). Émerveillés par ce contact, nous y voyons un signe de bienvenue. ” (Expédition Érebus, J.L.Etienne et P. Avérous – Arthaud)

Et en péninsule de Valdès, lors de la mission ANTARCTICA : “ Je pagayais tranquillement autour des baleines, quand l’une d’elles a donné un grand coup de queue : et me voilà projeté à plus de 3 mètres de haut avant de retomber en piqué avec mon kayak dans le remous de la baleine apeurée. J’ai regagné l’annexe à la nage, mais avec une côte cassée ! (…) On peut assez facilement s’approcher des baleines sous l’eau et les caresser. Le sens du toucher de ces animaux pacifique est très développé… Sans doute, la baleine franche qui me projeta en l’air, avait-elle été effrayée par le bruit que je faisais. ”
(Antarctica, une aventure dans les mers australes, J.L. Etienne et C. de Marliave – Gallimard)

Pour s’y retrouver dans les dénominations de quelques cétacés :

Nom français Nom anglais Nom latin
Baleine du Groenland Bowhead Whale Balaena mysticetus
Baleine des basques, ou baleine franche boréale North Atlantic right whale Eubalaena glacialis
Petit rorqual ou baleine de Minke ou baleine à museau pointu Minke Whale Balaenoptera acutorostrata
Béluga Beluga Whale Delphinapterus leucas
Narval Narwhal Monodon monoceros

LE SAVIEZ-VOUS ?

> Le son voyage quatre à cinq fois plus vite dans l’eau que dans l’air et va beaucoup plus loin. Cette propriété est particulièrement utilisée par les Cétacés… et les scientifiques et les militaires (sonars, sondeurs, balises acoustiques, “écoute” des sous-marins…).

> La richesse des sonorités émises et captées par le béluga lui permet de garder le contact avec ces congénères et ce, malgré le puissant bruit de fond produit par la banquise.

> Industries minières et pétrolière, transport maritime, pêche, activités militaires : tout cela participe à augmenter le bruit dans les océans. Cette “pollution sonore” semble pouvoir perturber la vie des cétacés.

> Les “baleines” des corsets et des parapluies tirent leur nom de leur provenance au début du siècle : les fanons des baleines !

> La “corne” du narval est une dent, hypertrophiée chez le mâle. Elle est à l’origine de l’étrange ornement des licornes mythiques.

> Comme l’orque, le béluga et le narval, marsouins et dauphins sont des cétacés à dents.

> Aujourd’hui encore, les fœtus des baleines à fanons portent momentanément des dents… qui disparaissent avant la naissance. Un ultime souvenir génétique de leur origine.

COMMENT ÉTUDIER LES BALEINES ?

> La reconnaissance visuelle directe : souffle, taille, forme de la queue et de l’aileron dorsal sont les critères de reconnaissance que l’on utilise pour reconnaître les différentes espèces de baleines.

> La photo – identification : des fiches signalétiques, sortes de cartes d’identité, permettent aux chercheurs de reconnaître les individus d’une espèce à leurs signes particuliers : couleur, cicatrices…

La télémétrie : en plaçant de petits émetteurs sur les baleines, cette méthode permet de les suivre dans leur vie sous-marine : soit par radio, lorsque l’on étudie le détail de leurs évolutions locales, soit par satellite, lorsque l’on essaie de comprendre leurs grands déplacements sur une longue période.

Les hydrophones permettent d’enregistrer les chants et de connaître les territoires des différents groupes.

La biopsie : les scientifiques prélèvent un tout petit morceau de peau et de lard sur les cétacés. Ils peuvent alors étudier les liens de parentés (établir une sorte de fichier génétique), identifier le sexe des animaux, connaître les teneurs de polluants accumulés dans les graisses des animaux vivants, etc.

POUR ALLER PLUS LOIN …

BIBLIOGRAPHIE

  • Antarctica (J.-L. Etienne/Ch. de Marliave-Gallimard-1992)
  • Expédition Erebus (J.-L. Etienne/P. Avérous- Arthaud-1994)
  • Baleines, un enjeu écologique, (dirigé par S. Bobbé ­ Autrement-1999)
  • Dossier pédagogique : L’Arctique et l’environnement boréal (P. Avérous CNDP- 1995)
  • Dossier pédagogique : “ANTARCTICA” : L’environnement polaire 1 (P. Avérous-Autrement dit, CNDP-1992)
  • Encyclopédia Universalis
  • Animaux de la préhistoire, (J.-M.Mazin ­ Nathan- 1988)
  • L’évolution de la Vie, J.-J. Hublin ­ Flammarion ­ 1981)
  • Pas si bêtes ! Mille cerveaux, mille mondes ­ (Muséum d’Histoire Naturelle/Nathan-1999)
  • Évolution des baleines (D. Chadwick ­ National Geographic, nov. 2001)
  • Managing Beluga and Narwhal Harvest (WWF Arctic Bulletin n°1, 1999)
  • Ecoregion conservation in the North (WWF Arctic Bulletin n°2, 1999)
  • Whaling in the Arctic (WWF Arctic Bulletin n°3, 1999)
  • Conservation and Recovery for Canada’s Bowhead Whales (P.Ewins, B. Kocic, WWF Arctic Bulletin, n°1, 1999)

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